Le territoire de la répétition
Au sud de Valencia, le paysage change sans vraiment se transformer.
L’eau libre de la lagune se divise en surfaces régulières, quadrillées de digues et de chemins de terre.
Le vent se calme, la lumière devient plus franche, plus blanche.
C’est le territoire du riz : un monde organisé, mesuré, sans hasard apparent.
Tout semble simple, presque abstrait.
Pourtant, à mesure que l’on s’y attarde, chaque plan d’eau révèle ses nuances : la couleur de la vase, la densité des tiges, le tracé des rigoles.
Photographier ici, c’est entrer dans la logique du motif, chercher la beauté dans la répétition.
Les lignes et la lumière
Le matin, la lumière accroche les diagonales.
Les reflets s’étirent entre les rangs de jeunes pousses, les ombres se répètent comme des mesures de musique.
À certains moments, tout devient presque immobile — l’eau et le ciel se confondent, les tiges se reflètent à l’infini.
Le paysage perd sa profondeur, devient surface.
La photographie trouve là un équilibre rare : une géométrie mouvante, toujours prête à se dissoudre dans le vent.
Chaque image contient son propre rythme, celui d’une lumière qui glisse lentement d’un angle à l’autre.
La matière du vent
Rien ici n’est vraiment stable.
Le vent passe, et les lignes se brouillent.
Les reflets se plient, les plantes s’inclinent, la surface se trouble.
Le paysage tout entier se met à respirer.
C’est ce souffle que je cherche à capter, plus que la forme.
Un champ de riz n’est pas un décor, c’est une matière vivante, fragile, changeante.
Les images s’y font et se défont au gré du vent, comme si le paysage dessinait lui-même sa propre écriture.
La lumière n’éclaire pas : elle flotte.
Le travail invisible
On devine parfois le passage de l’homme, mais rarement sa présence.
Une rigole ouverte, un outil oublié, une trace de pneu dans la terre sèche.
Tout indique le geste, mais sans le montrer.
La photographie y trouve une forme de respect : celle d’un lieu habité mais non revendiqué.
Le travail, ici, n’a rien de spectaculaire — il s’inscrit dans le temps long, dans la continuité.
La nature et l’humain s’y confondent, comme si la main s’était effacée au profit de la lumière.
La lumière de midi
Quand le soleil atteint son zénith, la rizière change d’état.
L’eau devient éblouissante, les ombres disparaissent.
Il ne reste que la clarté, totale, presque insoutenable.
Les lignes s’effacent, les couleurs se fondent, la chaleur dilate tout.
C’est une lumière difficile à photographier : elle ne montre rien, elle engloutit.
Et pourtant, c’est là que le paysage révèle sa vérité — une sorte de silence absolu, sans repère, sans relief.
On ne sait plus si l’on regarde la terre ou le ciel.
Tout se confond dans un espace unique : celui de la lumière pure.
Le champ comme miroir
En repartant, le regard garde la trace de ces lignes d’eau et de vent.
Rien n’y semble exceptionnel, et pourtant tout y reste.
Les champs de riz ne racontent pas une histoire : ils en retiennent le rythme.
Ce sont des paysages d’attente, d’équilibre, de patience.
La photographie s’y fait humble, presque méditative.
Elle ne cherche pas à traduire, seulement à recevoir.
L’Albufera se reflète dans chacun de ces champs comme une mémoire du fleuve, une mémoire du ciel.
Un miroir horizontal, ouvert, offert à la lumière.